Dans une interview accordée au journal l’Equipe Magazine Wilfried Mbappé revient sur ses années d’éducateurs dans la ville de Bondy et ses relations avec les parents des joueurs 

 

Avez-vous été surpris par les débordements violents de parents autour des terrains récemment ?

Wilfried Mbappé : Tout le monde est surpris car ce n’est pas courant et pas normal. Il y a pour moi une ligne rouge infranchissable, c’est la violence. On peut avoir des mots mais vous n’avez pas à attraper un éducateur ou un responsable de centre et le secouer devant tout le monde. Le football a changé. Quand j’ai commencé, la passion du jeu passait avant la réussite sociale. Aujourd’hui, les parents savent ce qu’est un contrat d’aspirant.

Quelles étaient alors vos relations avec les parents ?

Wilfried Mbappé :Franches et directes. Jamais rien de méchant. Je partais du
principe que je devenais pendant deux heures le père de l’enfant qu’on me confiait. Je mettais une barrière : les parents pouvaient venir me voir pour discuter mais pas intervenir pendant la séance ou le match. Mais c’est difficile, il faut une certaine aura, du caractère, bomber le torse et ne pas
être craintif.

Quand cela a-t-il dérapé ?

Wilfried Mbappé : C’est une lente évolution. Dans les petits clubs, on n’avait pas de joueur devenu professionnel. Aujourd’hui, s’il n’y a pas un pro passé par chez vous, il est passé par le club voisin. Dans un sens, c’est la preuve que les éducateurs travaillent bien et qu’il y a une bonne formation dans la région parisienne. C’est même l’une des plus riches au monde avec celle de Sao Paulo. Mais ça veut dire que ce qu’on voyait de très loin, à la télé, devient palpable pour les parents.

Et ça les rend fous ?

Wilfried Mbappé : Non, les parents ne sont pas devenus fous. Au contraire, on
pourrait dire qu’ils ont parfaitement compris ce qu’est devenu cet écosystème qu’ils n’ont pas créé. Il n’y a pas de diable, tout le monde a sa part de responsabilité. Quand j’ai commencé, ils déposaient leur gamin et repartaient comme si c’était une garderie. Ça n’était pas mieux. Je ne comprends
pas les éducateurs qui se plaignent que les parents soient là. C’est important qu’ils s’intéressent à ce que fait l’enfant. Pareil à l’école ou s’il fait de la musique. Le sport, c’est un projet de vie commun. Un éducateur n’est pas seulement un coach, il éduque.

Le comportement des parents a-t-il influé sur votre fonctionnement de père quand Kylian
a grandi ?

Wilfried Mbappé :Avant même d’avoir des enfants, les observer m’a permis de me remettre en question. Il faut prendre garde de ne pas être dans le jugement. C’est trop facile de critiquer un parent passionné qui s’emporte. Je le suis moi-même… Mais s’il m’arrive de discuter avec ceux qui s’occupent de mes deux autres
garçons (Jirès Kembo Ekoko, 34 ans et Ethan, 15 ans), je ne remets jamais en cause leur travail, même quand je n’ai pas la même vision qu’eux. Si un père n’a pas confiance dans un
éducateur, qu’il change de club. Après tout, si tous les parents ne sont pas parfaits, tous les éducateurs ne sont pas bons non plus. Avec Kylian, j’avais décidé qu’on ne parlerait pas de foot à la maison, quand le coach redevenait père. Sinon, vous vous perdez.

Ce n’est quand même pas simple d’avoir la double casquette…
Wilfried Mbappé : J’avais même la triple casquette : père, éducateur et directeur du club. Les gens auraient donc encore moins compris que je pète des câbles. Mais au départ, on n’a pas su que c’était mon fils. J’étais sur le terrain toute la journée et il venait avec sa mère. Ce n’est qu’au bout de deux ans qu’il a dit un
jour «papa !» et que les autres se sont demandés pourquoi.

Beaucoup disent que ce sont les montants annoncés pour les contrats de Kylian qui ont fait tourner les têtes…

Wilfried Mbappé : Le terrain de l’argent, c’est la facilité. Un père qui perd son travail à 1 200 euros et qui a six enfants, si vous proposez 20 000 euros à son fils pour aller jouer à Bordeaux, que voulez-vous qu’il dise ? Et de quel droit pouvez-vous le juger ?
Après tout ,l’enfant continuera de jouer au foot et tout le monde est gagnant. À Bondy, on a fait plein de transferts et on n’a jamais jeté la pierre à des parents qui touchaient une commission. D’ailleurs, pourquoi paierait-on moins pour un enfant talentueux de Bondy que pour un autre du PSG? Le
problème n’est pas là. Mais les gens mélangent tout. Quand les journaux ont parlé d’un transfert de 180 millions pour Kylian (de Monaco au PSG, en 2017), beaucoup ont cru que c’était lui qui avait touché cette somme et non le club.

Le problème se situe où, alors ?

Wilfried Mbappé : Le problème est multiple. Il n’est pas normal qu’un enfant ait un agent à 12 ans. Quand on commence à s’intéresser à des petits de 9 ou 10ans, comment voulez-vous que le parent garde la tête froide ? Jusqu’où va-t-on aller? À la maternité, parce que le père du bébé est un super joueur? Il n’est pas normal non plus qu’un parent arrête de travailler ou se transforme en agent parce qu’il a un petit qui aurait du talent. Mais dans ce contexte, on peut comprendre que si des promesses sont faites et pas tenues, les parents s’emportent. Avant, ils négociaient juste avec l’aide du responsable du club formateur. Mais aujourd’hui, ce responsable devient parfois agent lui-même, ou recruteur.

 

Pourquoi avez-vous arrêté d’être éducateur ?

Wilfried Mbappé :J’ai arrêté un an avant que Kylian arrive à Paris (au PSG, en août 2017). Je ne me reconnaissais plus dans ce que ça devenait. Quand des parents viennent avec un chrono pour dire que leur fils n’a joué que 25’30”, quand on passe de dix à cent agents autour du terrain, où va-t-on? Et puis ma situation personnelle faussait tout. On me voyait différemment, comme le père de Kylian,
même ceux que je connaissais pourtant depuis dix ans. C’est un crève-cœur car c’est ma passion et ça me manque. Mais je ne dis pas que le foot d’avant était mieux, il faut vivre dans son temps. Il y a des très bonnes choses aujourd’hui, on sort plus de talents. Il faut juste que chacun reste à sa place.

Que diriez-vous aux parents qui pensent avoir «le futur Kylian Mbappé» à la maison ?

Wilfried Mbappé : Il ne faut pas prendre cette phrase à la lettre. À mon époque,
on disait «le futur Zizou». Le foot, tout le monde croit connaître mais moi, c’est mon métier et le sport est celui de ma femme. Je n’étais pas boucher et elle boulangère, arrivant un jour en disant qu’on avait un gamin pas mal dont on allait faire un champion. Si Kylian avait fait de la flûte, j’aurais été présent comme père mais, pour parler musique, j’aurais pris quelqu’un qui s’y connaît. Après, on confond souvent les ambitions. L’important, c’est que le projet soit celui de l’enfant, pas des parents. Pour Kylian, il n’y avait rien de programmé. Il m’aurait dit: «Je ne veux plus jouer au foot», je lui aurais dit: «Bah tu vas faire autre chose ». Pour lui, c’était d’abord une passion. Ce n’est pas normal qu’un enfant de
10ans me dise: «Je veux gagner autant d’argent que Kylian». C’est que l’entourage ou les réseaux sociaux lui ont mis ça en tête. Nous, on a fait un Kylian Mbappé parce qu’on ne cherchait pas à faire un Kylian Mbappé.

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