Le week-end dernier, lors d’un séminaire à Salé (Maroc), le président de la Fifa, Gianni Infantino a effectué une analyse sans concession du football africain et a proposé de modifier le cycle des rendez-vous de la CAN, avec une compétition tous les quatre ans (au lieu de deux actuellement) en raison du fait qu’elle ne serait pas assez rentable. Selon le président de l’instance mondiale, l’Euro, format identique européen rapporterait vingt fois plus que la CAN.

Si on peut être d’accord avec un certain nombre de points de vue qu’il a développés, on ne peut accepter cet argument sans l’évaluer. Comparer deux formats sur le seul principe que leurs territoires sont à peu près identiques est un peu simpliste, surtout quand on connaît les différences de niveau de vie dans les territoires concernés. Alors comment comparer le plus objectivement possible? Quels chiffres utiliser pour vérifier si le président de la FIFA a raison en disant que la CAN est une compétition qui pourrait ou devrait être quatre à six fois plus rentable ?

L’un des éléments de comparaison les plus opérants quand on veut calculer les richesses d’un territoire est le Produit Intérieur Brut, qui permet de quantifier la valeur totale de la « production de richesse » annuelle effectuée par les agents économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) résidant à l’intérieur de celui-ci. Si les chiffres africains ne sont pas souvent très précis, selon la Banque mondial, le PIB des pays d’Afrique est de 2 292 milliards de dollars en 2018, contre 23 068 milliards de dollars pour l’ensemble de l’Europe. Quant au PIB par habitant, qui mesure niveau de vie dans les pays concernés, il est de 1585 dollars/ habitant en Afrique, contre 25 107 dollars/habitant en Europe. 

Le PIB par habitant européen est donc quasiment 16 fois plus important que celui d’un africain. Autrement dit, en termes de rapport de 1 à 20, si l’on s’en tient aux chiffres du patron de la Fifa, on ne peut pas dire que la CAN sous-performe vraiment par rapport à l’Europe. Bien au contraire, si l’Euro est un succès commercial, il devrait au moins en être de même pour la CAN. Et le tout sans aller rechercher des indicateurs comme le taux d’épargne des ménages, qui indique d’une certaine façon l’importance du disponible pour les loisirs.

Alors où chercher la réserve annoncée, la multiplication par 4 ou 6 des recettes? La question peut se poser, et ce d’autant que les revenus du football européen cachent un peu que cinq pays (Angleterre, Allemagne, Espagne, France et Italie) génèrent 75% des recettes du football européen.  En faisant de la CAN un évènement mondialisé? Si l’Afrique ne pèse que 5% du marché publicitaire mondiale, la tendance à se digitaliser peut inquiéter : si la télévision reste le premier poste avec 29% des budgets, le deuxième poste est désormais la recherche payante (19%) suivi des réseaux sociaux (13%). Autrement dit, des marchés où les acteurs ne sont pas très nombreux et en position dominante. Et les difficultés logistiques pour les acteurs de la vente à distance ne plaident pas pour une entrée du deuxième A des GAFA.

Peut-être que le discours est un peu pessimiste de premier abord, mais il ne faudrait pas quitter la proie pour l’ombre. Certes la CAN a un véritable problème aujourd’hui puisque depuis 2012, elle ne n’est pas passée dans le pays censé l’organiser et qu’elle a changé de format et de dates depuis trois ans. Mais ne vaut-il pas mieux que l’Afrique réfléchisse à des solutions internes efficaces plutôt que de penser à une solution miracle. Quels sont les bilans de la CAN à 24, quels sont les bilans des compétitions de club existantes et comment les améliorer pour produire une élite locale ? Comment partir de la base africaine, du local, pour trouver des solutions plutôt que d’essayer une nouvelle fois des schémas importés? Autant de questions qui attendent le comité exécutif de la CAF.

Hervé Kouamouo
Journaliste
Doctorant à l’ISP Nanterre

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