Lucien METTOMO : « C’est le tragique décès de Marco qui a suscité en moi, le désir de m’investir pour une meilleure condition de vie des footballeurs »

 

Très discret depuis de longues semaines, Lucien Mettomo a profité de l’occasion qu’offrait le 20e anniversaire de la disparition de Marc-Vivien Foé, pour accorder une interviewexclusive à la presse. Dans cet entretien, l’ancien Défenseurde Saint-Etienne, champion d’Afrique en 2000 et en 2002avec les Lions Indomptables, revisite, sans filtre, les grands moments passés avec son ami, avant son décès tragique au stade Gerland de Lyon, le 26 Juin 2003. Des moments de grande tristesse mais aussi d’épanouissement unique, quiont bouleversé à jamais la vie de ‘’Monsieur Propre’’.

 

Bonjour Lucien

Bonjour

 

Lucien, parlez-nous de votre relation avec Marc-Vivien Foé ?

J’ai toujours été très proche de Marco, vous savez. C’était un grand frère, un ami intime avec qui j’ai vite accroché dès que je suis arrivé en sélection nationale du Cameroun en 1997, juste avant la Coupe d’Afrique des Nations 1998 au Burkina-Faso. Lui, il était là depuis 1994 et donc logiquement il nous servait de guide éclairé.

 

La saison sportive 2002-2003 marque cependant un vrai tournant dans votre relation…

Tout à fait. Marco m’avait rejoint à Manchester City cette saison-là et donc la relation est devenue plus forte. On était coéquipier, c’est-à-dire qu’on s’entrainait tous les jours ensemble. On vivait même presqu’ensemble car nous habitions le même quartier avec des maisons situées l’une très proche de l’autre. Dans le vestiaire également, nous étions assis côte à côte. Et pour couronner le tout, c’est ensemble que nous venions en sélection quand nous étions convoqués durant cette période.

 

C’est donc également ensemble que vous avez préparé physiquement et mentalement la Coupe des Confédérations qui venait boucler cette saison sportive là ! Lucien, dites-nous ce que cette compétition représentait pour vous ?

Cette compétition nous offrait clairement l’opportunité d’écrire nos noms en lettre d’or dans le foot mondial. A cette époque, il vous souvient qu’on était l’une des meilleures sélections du monde et qu’on n’avait malheureusement pas assumé notre statut en Coupe du Monde, Corée-Japon 2002. Il fallait donc absolument se rattraper durant cette Coupe des Confédérations qui venait un an après !

Marco, qui faisait partie des leaders de notre génération, entendait donner l’exemple et donc il a commencé à se préparer très tôt pour cette compétition. Durant les derniers matchs en club, il était déjà focalisé sur l’objectif. Au moment de venir dire au revoir aux familles, Il  a tout fait pour qu’on soit parmi les premiers à rallier le Cameroun et une fois qu’il avait dit au revoir aux siens, il s’est recroquevillé à l’hôtel nous devrions démarrer le stage. Pour lui, il ne fallait disperser aucune énergie car nous avions rendez-vous avec notre destin.

 

Marc-Vivien Foé était un des leader de votre génération, une génération 2000 qui comptait quand même de sacrés joueurs !

De très très grands joueurs ! Et il faut dire que pour la Coupe des Confédérations de 2003, le Sélectionneur avait réussi un savant mélange entre les plus anciens qui étaient là depuis au moins 1998 et qui constituait le noyau dur de l’équipe, et les plus jeunes aux dents très longues et acérées tels FellainiNgassam, Valery Mezague, Modeste Mbami, Eric Djemba, Achille Emana et j’en passe. Vraiment nous avions une superbe équipe qui était arrivée en plus, en pleine maturité.  

 

Durant cette Coupe des Confédérations 2003, vous partagiez la même chambre que Marco. Dites-nous à quoi ressemblaient vos journées ? L’intimité de votre chambre ?

Vous savez, la vie avec Marco était très facile. Il parlait peu mais écoutait beaucoup. Marc-Vivien Foé aimait les films policiers du type ‘’Inspecteur DERRICK’’ et il passait toutes ses soirées à regarder çà. Il lisait aussi beaucoup. La vie était très simple avec lui. Elle se résumait à ‘’Entrainements-massagesAppels ou visites à la famille-chambre.

Et donc dans la chambre, c’étaient les films, la lecture, parfois la musique, accompagné toujours de son assiette de fruits.

 

Assiette de fruits ?

Oui. Marco aimait beaucoup les fruits. Il nétait pas un gros mangeur mais il avait toujours son assiette de fruits.

 

Vous dites aussi que dans le programme, il y avait les visites et les appels téléphoniques à la famille ? Expliquez-nous ?

C’est un secret de polichinelle ! Tout le monde sait que Marco était très proche de sa famille. Je ne peux pas compter le nombre d’heures qu’il passait au téléphone avec son épouse, ses enfants, ses parents, ses frères et ses sœurs. Marco aimait les gens et particulièrement les gens de sa famille. Pour lui c’était sacré !

 

Du coup, vous qui l’avez connu comment avez-vous accueilli les problèmes qui sont arrivés après sa disparition, entre les membres de sa famille ?

Nous étions surpris et mal à l’aise car de son vivant il n’yavait jamais eu de fissure. Du moins, je n’avais jamais rien vu. Nous sommes un bon nombre de ses anciens coéquipiers à êtretrès mal à l’aise avec cette situation.

 

Revenons à la Coupe des Confédérations, et à ce fameux Jeudi 26 Juin 2003. Le Cameroun est en demi-finale d’un tournoi mondial majeur, vous êtes en route vers la graal, racontez-nous cette journée spéciale ?

Vous avez tout dit ! Nous étions en route vers le graal et on le ressentait. Nous venions de battre le Brésil de Ronaldinho en ouverture du tournoi, ensuite nous avons battu la Turquie deRustu et d’Hassan Sas, deux des meilleurs footballeurs en Europe à cette période. Deux matchs, deux victoires, zéro but encaissé. Nous avions 6 points et étions qualifiés pour les demi-finales avant même de jouer le 3e match de la phase de poule contre les Etats-Unis.

Vous allez fouiller dans les statistiques et vous verrez que le Cameroun a rarement atteint pareil niveau de performance dans un tournoi mondial majeur. Donc on savourait, tout en nous disant quand même que le travail n’était pas encore fini. Il restait la demi-finale et la finale.

Ce matin du 26 juin 2003 jour de la demi-finale, on devait d’ailleurs composer avec deux éléments nouveaux qu’on n’avait pas encore connus depuis le début du tournoi en France. Primo, le forfait de Samuel (Eto’o) notre attaquant vedette qui était parti jouer la finale de la Coupe du Roi avec son club en Espagne et les douleurs gastriques que ressentait Marco. Pour le 1er défi, il a été décidé que N’diefi remplace Samuel à la pointe de l’attaque. C’était du poste pour poste c’est-à-dire qu’on gardait le même dispositif juste que Pius (N’diefi) rentrait dans le système et pour le second défi, les médecins de l’équipe, n’ont pas jugé le cas de Marco grave. Foé allait donc tenir sa place dans le 11 entrant face aux colombiens.

Je précise que ce matin-là, je suis le premier à me réveiller ! Jevais au petit déjeuner et je laisse Foé endormi dans la chambre. Quand je remonte dans la chambre, il n’est pas là, il est en salle de soins. On va se retrouver au déjeuner. Après le repas, je vais remonter en chambre pour une sieste, il ne reviendra dans la chambre que pour me réveiller pour le départ au stade. Pour la petite histoire, on utilisait le même sac et j’étais chargé de ranger nos effets à l’intérieur. Pendant que je le faisais, il va me lancer la fameuse phrase. Celle qui malheureusement, va devenir tristement célèbre, suite au déroulement des évènements de 26 juin 2003.

Qu’est- ce qu’il vous dit ?

Il me dit pendant que je fais le sac : « Lucien, écoute ! Aujourd’hui c’est le match de notre vie. Il faut le gagner. Quitte à laisser notre peau sur le terrain, mais il faut gagner ce match pour le Cameroun »

 

En fait il vous tient le discours qu’il va tenir quelques heures plus tard dans le vestiaire devant tous les coéquipiers et tout le staff ?  

Exactement !  J’ai eu droit à ce discours en version originale, dans le secret de notre chambre. Marco m’a parlé très simplement mais avec une grande fermeté.

 

Ensuite c’est le départ pour le stade mais quand vous arrivez,  vous doutez vous de quelque chose ?

On ne se doute de rien du tout. C’est un match normal excepté le fait que c’est une demi-finale. Mais nous sommes des compétiteurs et en plus, on joue dans un stade que la plupart des joueurs de la sélection du Cameroun connaissent bien. Car parmi nous, plusieurs ont joué ou jouent encore en France à ce moment-là !  Pour Marco en plus, Gerland, l’ancien stade de Lyon, c’est carrément son domicile puisqu’il est encore sous contrat avec l’Olympique Lyonnais qui l’a juste prêté à City. Donc quand on arrive tout le monde le reconnait. Jean-Michel Aulas, Bernard Lacombe, les supporters…Bref tout le monde. Marco est chez lui !

 

Le match commence et vous marquez très vite dans cette demi-finale !

Oui, c’est le scénario parfait surtout que l’on affronte une équipe qui a des valeurs : la fierté, le courage, l’abnégation. Les Colombiens sont réputés pour être un peuple qui ne lâche rien et ne fait aucun cadeau à l’adversaire. Donc ouvrir la marque contre une équipe comme ça, c’est très bon pour notre moral !  On va à la pause en menant 1 but à Zéro.

 

Comment est le vestiaire à la mi-temps ?

L’adrénaline est à son paroxysme ! On parle entre nous. Le Sélectionneur nous laisse nous exprimer. Nous sommes conscients que nous sommes en train d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire du football de notre pays. Mais tout le monde appelle à la vigilance, à la concentration. Ce n’est pas finit. Nous discutons sur les stratégies de la seconde période.

Rigo et moi, sommes particulièrement en discussion sur la question du marquage d’un attaquant colombien qui nous pose quelques difficultés.

 

Marco prend la parole à quel moment ?

Là ! A ce moment précis ! Pendant que tous les joueurs s’entretiennent par secteur de jeu, Marco se lève ; Torse nu, maillot autour du cou, chaussettes repliées dans les protège-tibias comme à l’accoutumée, il se lève et debout devant tout le vestiaire il lance à nouveau la célèbre phrase : « les gars, on mène au score c’est bien ! Mais le match n’est pas fini. Jusqu’à la fin, vigilance totale car cette demi-finale, on doit la gagner.  Même s’il faut que quelqu’un meurt sur le terrain, on doit le gagner ».

Bien évidemment, à ce moment, personne ne prend cette déclaration au 1er degré ! Pour nous Marco était juste, en bon leader, en train de nous demander de donner le maximum sur le terrain pour remporter le match. C’est après que cette déclaration va résonner et résonne d’ailleurs encore très fort dans nos esprits.

 

Vous repartez au stade et puis arrive cette fatidique 72eminute de jeu?

Exactement. Je dois dire que personnellement je ne l’ai pas vu s’écrouler ! C’est Éric (Djemba), qui s’écrie dans le stade : « Marco s’est écroulé ».

Le rond central étant un peu loin de nous, Rigo et moi décidons de ne pas aller voir ce qu’il se passe. On mène au score et il ne faut prendre aucun risque surtout qu’il ne reste plus beaucoup de temps à jouer. On reste donc en place. Les autres joueurs accourent vers le rond central et puis nous voyons Marco être péniblement mis sur la civière et conduit hors du terrain. Même si c’était la première fois que je le voyais sortir d’un stade de football couché sur une civière, je ne me suis pas vraiment inquiété. Je me suis dit, peut-être le mal gastrique a repris et il ne peut vraiment plus continuer la partie ou alors il a pris un coup sur le pied qui avait été blessé avant la Coupe du Monde 98.

 

La suite vous allez l’apprendre à la fin du match ?

Oui, mais pas tout de suite. Passée l’émotion de la qualification pour la finale que l’on célèbre sur la pelouse dès le coup de sifflet final, nous décidons de regagner le vestiaire. On ne nous dit jusque-là, rien ! C’est quand il faut repartir sur l’aire de jeu pour le décrassage, que le préparateur physique va nous dire : « les gars, nous ne pouvons pas repartir sur la pelouse car Marco a un problème ». Dès que j’ai entendu ça, je me suis tout de suite dirigé en courant, vers l’infirmerie j’ai trouvé Salomon (Olembe), lui aussi très proche de Marco, totalement en larmes et inconsolable. Devant lui sur la table de l’infirmerie, le corps inanimé de Marco. La catastrophe ! Marie-Louise Foé, le petit-frère de Marco, Son Excellence Roger Milla, la famille Hayatou, le Médecin de Lyon, les journalistes de la FIFA (…) bref il y avait déjà du monde à l’entrée de l’infirmerie et tous étaient effondrés. Les gens étaient en larmes ! On aurait cru que Marco était endormi et que subitement il allait se redresser. D’ailleurs certains le disaient : « Marco réveille-toi, Marco réveille-toi ». Une vraie catastrophe !  

Comment se passe votre retour à l’hôtel ?

Avant de rentrer de l’hôtel, il faut déjà sortir du stade ; Il faut déjà annoncer la nouvelle à tout le reste de l’équipe ! Mais je ne vous dis pas…Les joueurs étaient abattus. Le groupe était presque mort. Je ne sais plus exactement à quelle heure nous sommes sortis du stade mais je sais une chose c’est que la victoire contre la Colombie ne voulait plus rien dire. Dans le bus, durant le trajet qui nous ramenait à l’Etrat, le centre de formation de Saint-Etienne où nous logions, c’était le silence total. Tous les joueurs de notre génération vous diront que c’est le pire moment de notre histoire en sélection nationale.

On n’arrivait pas à croire qu’on avait laissé Marc à Lyon et qu’on repartait à Saint-Etienne sans lui. On n’arrivait pas à croire qu’on allait disputer cette finale dont il rêvait tant, sans lui. Bref trop d’émotions s’entremêlaient et s’entrechoquaient dans nos têtes à tel point que quand je suis arrivé dans la chambre que je partageais avec Marco j’ai demandé à Joël Epallé qui m’avait suivi de ne pas refermer la porte car Marco allait revenir.

Joël avait décidé d’être à côté de moi se doutant bien que ça allait être compliqué. C’est lui qui alerté le staff technique pour lui dire que je n’allais pas bien. On s’est empressé de me changer de chambre

 

Vous avez eu le courage de défaire votre sac que vous aviez en commun avec Marc-Vivien ?

Bien-sûr que non ! C’est Joël qui l’a fait.

 

Lucien Mettomo, 20 ans plus tard quel commentaire pouvez-vous faire de la vie sans Marc-Vivien Foé ?

D’emblée, il faudrait que vous sachiez qu’il y a un Avant-Marco et un Après-Marco dans ma vie. Regardez ma trajectoire professionnelle !

Avant le décès de Foé, je n’avais connu que deux clubs en Europe. Saint-Etienne où j’ai été formé et Manchester City. Après son décès, j’ai fait 5 clubs ; En Allemagne, en Turquie, en Suisse, en Grèce et je suis revenu Angleterre. Une vraie instabilité ! Si Marco avait été là, il m’aurait empêché de signer à certains endroits.

En sélection aussi ça été difficile après le départ de Foé. Mais ça, tous les joueurs de notre génération vous le diront. Causer le Président Eto’o, avec le Sélectionneur-Manager Song, avec Patrick Mboma, Olembé, Geremi Njitap bref tout le monde vous dira que ça n’a pas été facile de faire sans lui !

Mais pour moi, l’impact de sa disparition a traversé le football !

 

Comment ça ?

Vous savez, je connaissais les projets que Marc nourrissait pour sa famille, pour son pays. J’étais conscient de beaucoup de choses qui ont malheureusement disparu avec lui. Et cela m’a révolté ! J’ai pris conscience, à travers le décès brusque de Marc-Vivien, que la carrière d’un footballeur est courte et qu’il faut donc vite se réaliser et se reconvertir. Bref je suis simplement en train de vous dire qu’une vocation est née à l’intérieur de moi. Une mission, celle de me battre pour la condition sociale des footballeurs. Ceux qui sont en activité mais surtout ceux qui ne le sont plus !  

Depuis 20 ans, je regarde notre métier de footballeur avec un regard différent. Après la gloire, la célébrité, la notoriété comment pouvons-nous permettre aux footballeurs de vivre longtemps du fruit de leur dur labeur et d’en jouir avec leurs familles ?

Voilà la problématique qui guide ma vie depuis 20 ans et elle tire son origine du choc que j’ai eu en voyant Marco âgé de 28 ans seulement, partir et tout laisser !

 

Merci Lucien Mettomo de nous avoir accordé cette interview

 

Merci Hervé Menom

 

Entretien mené par Hervé MENOM

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